Dans une attaque inédite, la Commission européenne tente d’affaiblir la réglementation de l’UE sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Sa manœuvre périlleuse consiste à exclure certains OGM de la réglementation existante, afin que l’agri-business puisse les commercialiser sans autorisation, traçabilité ou étiquetage OGM.
Les députés européens Martin Häusling (DE), Benoit Biteau (FR), Claude Gruffat (FR), Eleonora Evi (IT), Tilly Metz (LU), Michèle Rivasi (FR), Thomas Waitz (AT) et Sarah Wiener (AT) rappellent en quoi ce plan de déréglementation des OGM est dangereux et démontent les principaux arguments de la Commission.
« OGM » signifie « organisme génétiquement modifié ». Une plante ou un animal est « génétiquement modifié » lorsque son génome est modifié d’une façon qui ne se produit pas naturellement. Cela peut se faire à l’aide d’une série de techniques différentes.
De notre point de vue, les OGM n’ont pas leur place dans une agriculture respectueuse de la nature. Dans les pays où sont cultivées des OGM, l’utilisation de pesticides de synthèse a augmenté, et le pouvoir des grandes sociétés agricoles s’est accru – au détriment des agriculteurs, des consommateurs et de la nature. Nous voulons que tous les produits génétiquement modifiés soient strictement réglementés. Ils doivent être traçables et clairement étiquetés afin que toute personne qui le souhaite puisse les éviter.
Les grandes sociétés agricoles, comme Bayer/Monsanto et Corteva (anciennement DowDuPont), font depuis longtemps pression pour que l’UE n’applique sa réglementation sur les OGM qu’aux plantes génétiquement modifiées auxquelles de l’ADN étranger – c’est-à-dire de l’ADN provenant d’une espèce non apparentée – est ajouté à leur patrimoine génétique. Ces compagnies affirment que les plantes fabriquées à l’aide de nouvelles techniques d' »édition génomique » comme CRISPR ne devraient pas être classées comme génétiquement modifiées.
Au début de cette année, la Commission européenne a publiquement soutenu leur point de vue et a annoncé qu’elle créerait une législation distincte pour ces plantes génétiquement modifiées. Évitant l’expression « OGM », impopulaire, la Commission les appelle « végétaux produits à l’aide de certaines nouvelles techniques génomiques« .
Le projet de la Commission va directement à l’encontre de la Cour européenne de justice. La plus haute juridiction de l’Union européenne a averti que l’exclusion des organismes génétiquement modifiés du champ d’application de la réglementation européenne sur les OGM irait à l’encontre de l’objectif de cette réglementation. Elle mettrait en péril la protection de la santé des personnes et menacerait l’environnement.
Le plan de la Commission européenne est un rêve devenu réalité pour Bayer/Monsanto.
Si l’UE abandonne l’exigence de traçabilité et d’étiquetage des OGM, les agriculteurs, les producteurs alimentaires et les consommateurs n’auront aucun moyen de rejeter ces produits génétiquement modifiés et d’opter pour des produits sans OGM. Cela menacerait l’avenir de l’agriculture biologique, dont les règles prévoient d’être exemptes d’OGM.
En outre, armées de puissants droits de propriété intellectuelle et de brevets, les grandes multinationales seraient en mesure d’utiliser ces semences génétiquement modifiées non traçables et non étiquetées pour renforcer leur contrôle sur notre production alimentaire. Plus il y a de semences OGM brevetées sur le marché, plus il devient difficile pour les sélectionneurs d’éviter la contamination génétique par ces semences et d’accéder à des semences non-OGM non brevetées.
Ce pourrait bien être la véritable motivation derrière les pressions exercées par les entreprises en faveur de la déréglementation : elles veulent évincer leurs concurrents et prendre le contrôle total du marché.
S’inspirant de la rhétorique des grandes sociétés agricoles, la Commission européenne utilise trois arguments principaux pour défendre les changements qu’elle propose d’apporter à nos règles sur les OGM :
Ces trois arguments sont sans fondement.
La Commission européenne affirme que les plantes issues de nouvelles techniques de génie génétique peuvent « contribuer à rendre le système alimentaire plus durable”.D’après elle, les plantes génétiquement modifiées seront conçues pour résister aux maladies, par exemple, ce qui permettrait aux agriculteurs de réduire l’utilisation de pesticides chimiques.
Ce que la Commission ignore, c’est que les nouvelles technologies OGM sont déjà entre les mains de quelques multinationales, comme Bayer/Monsanto et Corteva. Fin 2020, ces deux sociétés avaient déposé à elles seules environ 120 demandes de brevets internationaux pour des semences modifiées à l’aide de techniques d’édition génomique.
Les grandes entreprises agricoles produisent toutes à la fois des semences et des pesticides chimiques. Pourquoi utiliseraient-elles les technologies génétiquement modifiées pour réduire la dépendance des agriculteurs aux produits chimiques ? En fait, elles ont déjà fait la même promesse auparavant – et elles ne l’ont jamais tenue.
Aujourd’hui, la grande majorité des cultures génétiquement modifiées sont conçues pour résister à la pulvérisation d’herbicides toxiques, et sont vendus dans un même lot avec ces semences génétiquement modifiées. La toute première culture issue de l’édition génomique à arriver sur le marché – un colza de Cibus, cultivé aux États-Unis depuis 2014 – est l’une de ces plantes tolérantes aux herbicides. Et, de nombreuses plantes issues des nouvelles techniques OGM “au stade pré-commercial » sont également tolérantes aux herbicides, selon les propres recherches de la Commission.
Les cultures OGM qui résistent aux maladies font peut-être l’objet de recherches dans certains laboratoires publics. Mais rien n’indique qu’elles fonctionneront sur le terrain et qu’elles seront effectivement commercialisées – ni en Europe, ni dans les pays dont les régimes réglementaires en matière d’OGM sont plus permissifs.
La Commission européenne affirme que ces plantes génétiquement modifiées sont trop semblables aux plantes non génétiquement modifiées pour justifier leur réglementation dans le cadre des lois sur les OGM.
Toutefois, même si aucun matériel génétique « étranger » n’est présent dans l’organisme génétiquement modifié, les procédés de laboratoire de génie génétique utilisés ne peuvent qu’entraîner des modifications qui ne se produisent pas dans la nature. Les développeurs utilisent les nouvelles technologies OGM pour réaliser des altérations génétiques complexes qui seraient impossibles sans ces techniques. Qui plus est, ils sont loin de contrôler tous les changements résultant du processus d’ingénierie. Les modifications, intentionnelles ou non, du patrimoine génétique des plantes peuvent entraîner des risques pour les écosystèmes et la production alimentaire.
En fait, les scientifiques ont fait valoir que les risques liés aux nouvelles techniques de génie génétique pourraient bien être similaires, voire supérieurs, à ceux des méthodes de génie génétique existantes.
La Commission européenne estime que la réglementation actuelle de l’UE en matière d’OGM est trop difficile à appliquer car nous ne pouvons pas traquer tous les nouveaux produits génétiquement modifiés qui pourraient entrer illégalement dans l’UE (c’est-à-dire sans autorisation d’OGM). Il s’agit en effet d’un problème qui doit être résolu, et la seule façon de le faire est de déployer des efforts de recherche et de coopérer au niveau mondial.
Jusqu’à présent, la Commission n’a fait ni l’un ni l’autre. Les scientifiques de l’UE se sont lancés dans des « considérations théoriques« , sans aucune preuve expérimentale. Et les recommandations des scientifiques et des autorités allemandes visant à établir une base de données internationale des nouveaux produits génétiquement modifiés n’ont toujours pas été suivies.
L’UE ne peut pas s’incliner devant l’opacité des producteurs de semences manifestement capables de suivre leurs propres produits brevetés mais qui ne veulent pas que les autorités publiques puissent en faire de même.
En tant que députés européens Verts/ALE, nous ne pouvons accepter aucun affaiblissement des normes alimentaires et environnementales de l’UE. Nous devons exiger plus, et non moins, des grandes sociétés agricoles. Nous ne pouvons pas les exempter de la surveillance réglementaire. Il est de la responsabilité de l’UE de défendre notre climat, notre production alimentaire, la santé publique et la nature.
Nous affirmons que les nouveaux OGMs n’ont pas leur place dans une agriculture durable. Seule une agro-écologie reposant sur les agriculteurs peut fournir des récoltes abondantes, résilientes face au changement climatique et ne dépendant pas des pesticides de synthèse.
Ne perdons pas de temps à discuter des fausses solutions promues par les agro-industries. Au lieu de modifier la réglementation européenne sur les OGM pour contourner une décision de justice historique de l’UE, attaquons-nous aux véritables avancées nécessaires pour étendre les pratiques agricoles écologiques qui fonctionnent avec, et non contre, la nature.
Authors:
Greens/EFA MEPs
Martin Häusling (DE),
Benoit Biteau (FR),
Eleonora Evi (IT),
Claude Gruffat (FR),
Tilly Metz (LU),
Michèle Rivasi (FR),
Thomas Waitz (AT)
Sarah Wiener (AT)
More information:
FRANZISKA ACHTERBERG: Biodiversity campaigner
franziska.achterberg@ep.europa.eu