ENVIRONNEMENT
Vivre durablement  dans les limites planétaires

La crise actuelle met en lumière de manière implacable la manière dont la satisfaction de nos besoins les plus élémentaires repose désormais sur des systèmes fragiles et épuisables. Cette crise trouve son origine notamment dans la déforestation et le trafic d’animaux protégés, et a été aggravée par un environnement de mauvaise qualité (notamment la pollution de l’air). Nous devons mettre en œuvre les changements qui nous permettront d’atténuer et de traverser la prochaine crise, dans les limites et en préservant nos écosystèmes.

LE PACTE VERT : NOTRE SOCLE POUR L’AVENIR

La crise actuelle nous rappelle l’interdépendance entre la santé humaine, le bien-être de nos sociétés et les systèmes naturels dont elles dépendent. Pour que les européen·ne·s vivent bien dans les limites de la planète, nos modes de production et de consommation doivent changer radicalement. La réduction de notre impact sur la faune et la biodiversité, bien que nécessaire pour éviter l’émergence d’une nouvelle zoonose comme le Covid-19 ne suffira pas. Nous devons nous assurer que tous les secteurs de l’économie s’engagent pleinement dans l’instauration d’une économie neutre sur le plan climatique, durable et environnementale, zéro pollution et totalement circulaire d’ici 2040. C’est la seule voie face à la menace existentielle que représentent les changements climatiques et la perte massive de la biodiversité. Le Pacte vert européen reste plus que jamais le socle de notre futur modèle de développement. Il faudrait même le renforcer pour qu’aucun investissement ne nuise à la lutte contre le changement climatique ni à la préservation de l’environnement, et même pour qu’il contribue à la sortie de crise :

  • L’Union devrait renforcer son ambition climatique en inscrivant dans sa “loi climat” l’objectif de réduire de 65% ses émissions d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2040 au plus tard. Le plan de transition devrait lancer la transformation de notre économie et veiller à ce que tous les secteurs s’engagent sur la voie de la neutralité climatique.
  • Le renforcement de l’action de l’UE pour protéger et restaurer la biodiversité nationale et mondiale est indispensable Il permettra d’éviter la propagation de nouvelles zoonoses comme le Covid-19 tout en répondant à la perte de notre biodiversité qui ne cesse de s’aggraver. La Commission devrait lancer des objectifs juridiquement contraignants, à savoir la protection d’au moins 30 % des terres et des mers européennes et la restauration d’au moins 30 % des écosystèmes européens d’ici 2030, et soutenir fermement l’adoption d’objectifs équivalents au niveau mondial. Les lois européennes actuelles sur la nature et la biodiversité devraient être complétées dans un délai d’un an par un règlement sur la restauration de la nature afin de s’assurer que ces objectifs soient intégrés dans la loi. Au moins 150 milliards d’euros devraient être mobilisés au cours des dix prochaines années pour la mise en œuvre de la stratégie de l’UE en matière de biodiversité. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) devrait être chargée de publier un rapport approfondi des connaissances scientifiques mondiales sur les impacts de la perte de biodiversité et les effets plus vastes de l’activité humaine dans le monde naturel sur l’émergence de pandémies telles que celles du COVID-19. Enfin, en tant que troisième marché de destination du trafic illégal de la faune et de la flore sauvages et en tant qu’exportateur, l’UE doit être à la tête de la lutte contre la criminalité environnementale.
  • L’UE doit unilatéralement prendre les devants en adoptant plus de lois sur la “due diligence” obligatoire, comme elle l’a déjà fait dans des domaines spécifiques comme le commerce de minéraux, de bois de conflit. La transparence à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement (de l’extraction jusqu’à la vente) doit être demandée et ainsi imposer aux entreprises à chaque étape de cette chaîne l’obligation de due diligence au regard du droit de l’environnement, du droit social et des droits humains. Une telle législation serait également un instrument très pertinent pour imposer des dues diligences obligatoires aux opérateurs amont et aval dans les chaînes de valeur des produits forestiers à risque et, par conséquent, pour contribuer à la lutte contre la déforestation et à la protection de la biodiversité.
  • Dans le cadre du renforcement de la lutte de l’UE contre la pollution environnementale, en particulier la pollution atmosphérique, les fonds de relance destinés aux secteurs hautement polluants, comme l’agriculture, l’industrie chimique et les transports, doivent être investis dans les technologies propres pour permettre à ces industries de faire leur transition vers le “zéro pollution”. Un plan d’action zéro pollution pour l’air, l’eau et le sol, et une stratégie en matière de produits chimiques pour la durabilité sont plus que jamais nécessaires. Ils devraient viser à prévenir toute forme de pollution et à la réduire à des niveaux qui ne sont plus nocifs pour la santé humaine et l’environnement, dans le respect des limites écologiques de la planète. La stratégie relative aux produits chimiques pour la durabilité doit combler les lacunes réglementaires dans la législation de l’UE sur les produits chimiques. Il faut parvenir rapidement à une substitution des substances extrêmement préoccupantes et des autres produits chimiques dangereux, y compris les perturbateurs endocriniens, les produits chimiques très persistants, les substances neurotoxiques et immuno-toxiques et lutter contre les effets de combinaison des substances chimiques, les substances sous formes nano et l’exposition aux substances chimiques dangereuses des produits. Pour les pesticides, utilisés sur plus de 30 % des terres européennes, nous demandons la mise en oeuvre immédiate des propositions du rapport final du comité et notamment de la procédure d’autorisation des pesticides dans l’Union européenne
  • La Commission doit accélérer l’adoption de critères harmonisés pour définir les activités économiques amenées à progressivement disparaître en raison de leur impact sur le climat et l’environnement. Cette « taxonomie brune » devrait agir comme une boussole pour éviter que les dépenses publiques et privées ne soient injectées et bloquées dans l’ancienne économie fossile basée sur la surproduction et la culture du jetable.

INVESTIR ET PROTEGER LA PRODUCTION LOCALE DE NOURRITURE

Cette crise nous rappelle que l’accès à certains besoins fondamentaux des citoyen·ne·s de l’UE, et en particulier l’alimentation et la santé, est beaucoup plus fragile que nous ne le pensions. L’approvisionnement en nourriture dans l’UE a été assuré mais à des prix très instables. Le manque de travailleuses et travailleurs agricoles aura un impact considérable sur la production de fruits et légumes, et la perturbation du commerce des intrants (engrais, pesticides, semences et aliments pour animaux) affecte profondément la production et pourrait même conduire à l’effondrement de certains secteurs. Pendant cette crise, les difficultés rencontrées dans le transport d’animaux vivants (au sein de l’Union européenne et à destination/en provenance de pays tiers) ont attiré davantage l’attention sur la nécessité de réduire et de relocaliser cette production, compte tenu des implications pour le bien-être des animaux et la sécurité alimentaire. La souveraineté alimentaire européenne est loin d’être atteinte. Pour résoudre cette situation, l’UE doit soutenir et investir dans la diversification et la relocalisation des productions.

  • Cela signifie, donner la priorité aux marchés intérieurs et régionaux plutôt qu’aux exportations, de préférer des chaînes d’approvisionnement plus courtes et d’éviter les accords commerciaux qui mettent en danger notre production locale de base. S’appuyer sur les importations en provenance de pays tiers pour ces produits est non seulement problématique au niveau de l’environnement, mais cela peut aussi compromettre notre sécurité alimentaire et notre souveraineté. Un modèle agro-écologique a le potentiel de fournir une alimentation saine et respectueuse de l’environnement à tous les européen·ne·s et permettre à nos agricultrices et agriculteurs de bien vivre de leur travail.
  • Cette diversification et cette relocalisation doivent se faire dans les territoires de l’UE. Cela signifie que nous devons également soutenir les options plus durables et plus adaptées (par exemple en assurant que 30 % de nos terres agricoles soient biologiques d’ici 2030), diminuer certaines productions au profit d’autres (par exemple en fixant des objectifs pour réduire la consommation de viande, tout en réorganisant le secteur de la viande par le biais d’un plan autour des protéines végétales et de normes plus élevées pour le bien-être animal), et également renforcer la conditionnalité des aides publiques versées aux agricultrices et agriculteurs.
  • La relocalisation exige que nous restreignons la dépendance aux intrants dans le secteur alimentaire, notamment en soutenant un objectif de réduction de 50% des pesticides l d’ici 2025 (-80 % d’ici 2030 et l’élimination de l’utilisation des pesticides d’ici 2035). Il en va de même pour l’utilisation des engrais synthétiques avec un objectif de réduction de 50 % d’ici 2030 dans le cadre de la stratégie dite “De la ferme à la table”, de la stricte mise en œuvre de la directive-cadre sur l’utilisation durable des pesticides et du renforcement de la future PAC. Pour permettre aux chaînes d’approvisionnement plus courtes de prospérer, nous devons maintenir des emplois verts de bonne qualité dans les zones rurales. Il est d’autant plus vital dans cette crise d’égaliser les paiements entre les agricultrices et agriculteurs des différents États membres, pour empêcher la disparition des fermes dans certaines régions de l’Union européenne.
  • Les marchés publics devraient également jouer leur rôle dans le développement de systèmes alimentaires locaux, en donnant la priorité aux marchés régionaux et internes durables.
  • La résilience de notre système alimentaire repose sur la présence d’une multitude de petites exploitations agricoles et de la pêche artisanale vers lesquels il faudrait orienter l’aide de l’UE. Nous devrions également veiller à ce que la reprise économique dans le secteur agricole et de la pêche ne se fasse pas au détriment de la protection de l’environnement ni de la protection sociale. Le passage nécessaire à l’agriculture biologique, ainsi qu’à l’exploitation forestière durable, peut également offrir des opportunités d’emploi.
  • Un outil majeur pour atteindre ces objectifs est un changement radical dans la future politique agricole commune, qui représente plus de 35 % du budget européen.
  • Enfin, il conviendrait d’assurer la transparence en ce qui concerne la distribution des fonds de la PAC et du FEAMP, pour garantir la cessation des subventions nuisibles et que la pêche artisanale et l’agriculture paysanne soient les principaux bénéficiaires du budget de l’Union européenne et du plan d’investissement relatif au Covid.

REDÉMARRER L’ÉCONOMIE EN FAVORISANT LES ÉNERGIES RENOUVELABLES, LA RÉNOVATION DES BÂTIMENTS, LES TRANSPORTS PROPRES ET LA DÉCARBONATION

Au lieu de remettre en état un système qui a montré sa faiblesse, l’UE devrait se saisir de cette occasion pour revitaliser l’économie post-COVID-19 par le biais d’objectifs juridiquement contraignants et d’investissements ciblés permettant à notre société d’être mieux préparée à de futures crises : de nouvelles pandémies, la crise climatique déjà en cours ou les conséquences de l’effondrement des ‘écosystèmes. Les secteurs prioritaires devront être ceux qui combinent un fort potentiel de création d’emplois locaux et de qualité et de revitalisation de nos territoires tout en réduisant à la fois la facture pour les ménages et notre empreinte écologique collective:

  • Lancement de la vague de rénovation : une stratégie ambitieuse et globale de rénovation des bâtiments au niveau local, couplée à une stratégie de développement des compétences inclusive et équilibrée entre les sexes, stimulera les économies locales, tout en soutenant la cohésion sociale et donnant à toutes et tous les conditions d’une vie plus saines. Une vague de rénovation intégrant l’économie circulaire et une approche du cycle de vie à l’échelle industrielle contribuera à la réalisation des objectifs sociaux et environnementaux. Un taux de rénovation accru doit être couplé à des normes minimales de performance énergétique et à l’objectif NZEB (des bâtiments dont la consommation d’énergie nette est nulle). Les travaux de rénovation doivent être entrepris de manière globale et inclusive (impact estimé : > 75 milliards d’euros par an d’incitations publiques nécessaires pour assurer un parc immobilier à haut rendement énergétique d’ici 2050 ; jusqu’à 2 millions d’emplois locaux).
  • Libérer le potentiel de création d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables en Europe, notamment en stimulant la demande de panneaux photovoltaïques à petite échelle. Proposer un programme paneuropéen de panneaux solaires sur les toits des habitations, dans le cadre de la prochaine vague de rénovation, et rendre les installations solaires obligatoires sur les bâtiments publics des États membres. Nous avons besoin que des programmes de transition, tels que le fonds de garantie de la BEI pour la crise du Coronavirus, permettent l’octroi de subventions, de prêts et d’incitations fiscales pour que des investissements dans l’approvisionnement en énergie solaire (toits solaires ou AAE) soient réalisés les PME et sur les bâtiments commerciaux et industriels.
  • Repenser les espaces publics pour promouvoir la mobilité durable : nous l’avons vu, de nombreuses villes d’Europe ont agrandi ou ajouté des pistes cyclables pendant le confinement afin de promouvoir une mobilité mieux adaptée aux règles de la distanciation sociale : la marche et le vélo. Il faudra encourager activement les autorités publiques à maintenir ou à étendre ces mesures qui favorisent ces types de déplacement, réduisant ainsi les émissions, permettant aux gens de rester en forme et, si besoin est, de respecter la distanciation sociale.
  • Faire en sorte que le changement de modes de déplacement soit pérenne : le plan de relance devra être l’occasion d’investir dans les transports publics, indispensables, et d’assurer un véritable changement dans les modes de déplacement Cela permettra de réduire la pollution atmosphérique et d’agir pour le climat. Pour cela, il faudra augmenter le nombre de tramways, que les bus soient plus réguliers et à zéro émission et développer une véritable intermodalité dans nos villes. Un plan d’action de l’UE et un soutien financier à grande échelle sera nécessaire pour la modernisation, l’extension et l’entretien des chemins de fer, pour financer des investissements dans les trains, les trains de nuit, les liaisons ferroviaires transfrontalières et d’autres innovations liées au transport ferroviaire. Une coordination de l’UE devra être mise en place pour que les vols court-courriers soient remplacés par des alternatives durables. Nous ne pouvons pas sans cesse étendre notre réseau routier (cela ne fera qu’induire de la demande) et remplacer les voitures à combustion par des véhicules électriques. Pour faire baisser le trafic routier, il faut que davantage de marchandises soient transportées par chemin de fer, par voie navigable et par la mer (ex. : transport maritime à courte distance viable).
  • Bâtir les fondations d’une industrie européenne de la mobilité à zéro émission, capable de répondre à la demande croissante en solutions de remplacement des moteurs à combustion et d’infrastructures de rechargement à la fois pour les voitures, les fourgonnettes, les bus et les camions, mais aussi pour stimuler l’offre dans le secteur ferroviaire. Cela s’accompagnera de programmes de requalification, offrant de nouvelles possibilités de carrière aux travailleuses et aux travailleurs qui quittent le secteur des transports utilisant les combustibles fossiles.

POLITIQUE SANS COMBUSTIBLES FOSSILES

La réponse immédiate à la crise a montré que, trop souvent, les conservateurs considèrent encore « l’environnement » comme une question externe supplémentaire, qui peut être ignorée et mise de côté lorsque des choses « sérieuses » se produisent, ignorant ainsi totalement les problèmes systémiques qui ont contribué à la crise actuelle. Au contraire, il est temps d’utiliser le Pacte vert pour l’Europe et ses stratégies connexes comme base pour la transition à venir. Ces stratégies, accompagnées d’objectifs précis et d’une révision de la réglementation, sont nécessaires maintenant, et pas lorsque la crise sera terminée et que la plupart des États membres et des acteurs auront déjà commencé à élaborer leurs propres plans de transition. L’actuel faible prix du pétrole devra, notamment, être l’occasion de mettre fin à toute subvention pour les combustibles fossiles, y compris le gaz, que ce soit directement (par le biais des aides d’État) ou indirectement (via des exonérations fiscales). Toute attaque contre les normes ou les objectifs environnementaux de l’UE, actuels ou à venir, devra être sérieusement condamnée. Des règles strictes doivent être édictées pour régir les interactions entre l’industrie des combustibles fossiles et les décideuses et décideurs, comme cela est déjà le cas pour l’industrie du tabac. Les institutions de l’UE et les États membres ne devraient interagir avec l’industrie des combustibles fossiles que pour réglementer efficacement son activité.