Il est difficile de voir et de ressentir, par nous-mêmes, le déclin de la biodiversité dans la mer Méditerranée, mais c’est aussi une grande source de motivation pour protéger ce qui est encore là et faire revenir ce qui a été perdu. Les aires marines protégées, en particulier celles qui sont strictement protégées, ont montré qu’elles sont bénéfiques à la fois pour la nature et pour la petite pêche côtière. Pour Caroline Roose, députée européenne écologiste, nous devons mieux protéger ces zones pour vraiment protéger nos océans.
La Méditerranée est surexploitée. Pouvons-nous retrouver sa magie ?
J’ai toujours été très connectée à la mer Méditerranée. Enfant, je passais mon temps à m’y baigner et à discuter avec les pêcheurs du port dans lequel travaillait mon père. L’appel de la mer m’a poussé à devenir marin moi-même et à en épouser un.
En tant que députée européenne, je passe toujours le plus de temps possible dans et près de la mer. Pendant les week-ends, je fais de la plongée en apnée. C’est ma façon de me relaxer. C’est comme ça que j’ai pu voir de mes propres yeux le déclin de la biodiversité marine près des côtes des îles de Lérins. En moins de dix ans, les prairies sous-marines de posidonies, des plantes emblématiques de la biodiversité méditerranéenne, sont devenues marrons voire sont complètement mortes. Là où les yachts stationnent, le fond de la mer est aussi désert que le sol de la lune. Il y a de moins en moins de poulpes et d’oursins. Les mérous ont pratiquement disparu, je n’en croise plus qu’un et c’est toujours le même. De manière générale, il y a de moins en moins d’espèces et beaucoup moins de gros poissons.
Tout ça n’est pas surprenant quand on voit la pression que subit la vie marine en Méditerranée. Les problèmes les plus importants sont la surpêche, la pollution, le trafic maritime, l’urbanisation de la côte et la navigation de loisir. L’augmentation de la température de l’eau ainsi que de son acidité, qui sont liées au dérèglement climatique, jouent aussi un rôle important. Et cela ne touche pas que la Méditerranée. L’océan Atlantique, la Manche et la mer du Nord ne vont pas tellement mieux.
Il y a de l’espoir : une protection efficace des mers permet de faire revenir la nature
Mon plus grand plaisir, c’est de visiter des endroits où, grâce à des efforts de conservation, la Méditerranée reprend vie. Dans des zones de conservations comme le Parc Marin de la Côte Bleue ou le cantonnement de pêche Cap Roux, que j’ai eu le privilège de visiter en tant que députée européenne, la biodiversité méditerranéenne a retrouvé toute sa splendeur. Ces sites sont d’une beauté à vous couper le souffle et écouter celles et ceux qui prennent soin d’eux est très inspirant. Il est encourageant d’entendre que la plus vieille réserve marine de France, à Cerbère-Banyuls, va bientôt être largement agrandie.
Ce que tous ces sites ont en commun, c’est d’avoir, à la fois, des aires strictement protégées et des zones moins protégées. Dans les aires strictement protégées, qui ne couvrent en général qu’une toute petite partie de la surface totale, la nature est laissée à elle-même. Les activités humaines qui perturbent la vie et les habitats marins, comme la pêche, l’exploitation minière, l’extraction de minerais, l’aquaculture ou la construction, n’y sont pas autorisées. Ces zones sont un refuge où les espèces peuvent se reposer, se nourrir, grandir et se reproduire en toute sécurité. Dans les autres zones, bien plus grandes, une partie de ces activités néfastes sont souvent encore autorisées.
Il est incroyable de voir comment la vie marine, lorsqu’elle est laissée en paix, récupère rapidement. Les études scientifiques confirment qu’à la fois le nombre et l’abondance d’espèces augmentent avec le temps. Nous devons juste donner à la nature l’espace et le temps pour récupérer et les beautés de la Méditerranée réapparaissent sous nos yeux.
C’est gagnant-gagnant : les pêcheurs et les habitant·es de la côte bénéficient de la conservation de la nature
Ce qui est le plus étonnant, c’est que les scientifiques ont noté que les populations de poissons augmentent, au bénéfice des pêcheurs locaux. Dans les aires strictement protégées, qu’on appelle aussi “réserves marines” ou “zones de non-prélèvement”, la quantité de poissons peut être multipliée par six par rapport aux zones non-protégées. Les pêcheurs en bénéficient car les populations de poissons qui se multiplient dans les aires protégées se déplacent ensuite hors de ces zones et dans les zones de pêche adjacentes.
Dans les aires moins protégées, certains types d’équipement de pêche sont, en général, interdits. Cela bénéficie aux pêcheurs qui utilisent des techniques de pêche à faible impact, en particulier, les petits pêcheurs. La petite pêche joue un rôle essentiel dans la vie des communautés côtières et dans l’économie locale. Nous devons tout faire pour assurer leur avenir. La mise en place d’aires marines protégées bien gérées peut stimuler la transition vers une pêche à faible impact, en particulier quand les pêcheurs y sont associés dès le départ.
À Côte Bleue et Cap Roux, les pêcheurs ont été associés aux efforts de conservation dès le départ. Au début, les discussions ont été tendues, mais, avec le temps, les bienfaits ont été visibles de toutes et ou avec l’augmentation des populations, de la diversité et de la taille des poissons. Le plus difficile, dans les deux cas, a été trouver les financements pour faire respecter les restrictions de pêche, en particulier auprès des pêcheurs de loisir.
“C’est gagnant-gagnant”, a déclaré Patrick Bozonnat, l’ancien premier prud’homme de la Prud’homie de pêche de Martigues, quand je lui ai demandé ce qu’il pensait de la zone de non-pêche de Côte Bleue. Quand je leur ai demandé quels problèmes ils rencontraient, les pêcheurs de Côte Bleue ont parlé de la navigation de plaisance, de la pêche de loisir et du braconnage, pas du fait qu’ils ne pouvaient pas pêcher où ils voulaient.
Christian Decugis, premier prud’homme de la Prud’homie de Saint Raphaël, dit la même chose de la zone de non-prélèvement de Cap Roux, qui a été mise en place par les pêcheurs professionnels eux-mêmes pour protéger et augmenter les stocks de poissons. À Banyuls, où certains pêcheurs étaient très opposés à l’installation d’une zone de non prélèvement au début des années 70, les pêcheurs demandent, aujourd’hui, qu’elle soit agrandie. Bientôt, la zone interdite à la pêche fera 16km2 contre 6,5 actuellement.
Trop peu, trop tard – les objectifs de protection européens et mondiaux sont hors d’atteinte
Bien que les bienfaits pour la biodiversité et pour l’économie locale soient prouvés et que les pêcheurs aient des expériences positives, la surface d’aires marines protégées est encore bien loin de ce qu’il faudrait.
Aux niveaux international et européen, les gouvernements se sont engagés à protéger, d’ici 2030, 30% des océans. Au niveau européen, nous voulons que 10 % de nos eaux soient strictement protégées. Ces objectifs sont basés sur la science, mais nous sommes bien loin de les atteindre.
L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) estime que l’Union européenne n’atteindra probablement pas ses objectifs pour 2030. Pour y arriver, il faudrait “accélérer de 30% le rythme” de création d’aires marines protégées. Actuellement, seuls 12% des eaux européennes sont protégées et moins de 1% sont strictement protégées.
Nous avons besoin de véritables aires marines protégées et pas seulement sur le papier
Mon pays, la France, est un champion quand il s’agit de désigner des aires marines protégées. 60 % de la partie de la Méditerranée qui est sous juridiction française est couverte d’aires marines protégées. Dans le reste des eaux françaises, dans l’océan atlantique, la Manche et la mer du Nord, on en a 40 %. La France a donc déjà atteint son objectif de 30 %. Mais qu’en est-il en pratique ?
Selon les scientifiques, seuls 0,1 % de la Méditerranée française et moins de 0,01 % des autres eaux françaises sont strictement protégées. La grande majorité des aires marines protégées ne méritent pas l’appellation “protégées”.
Et la France n’est pas la seule. Partout en Europe, les aires marines ne sont souvent protégées que sur le papier et la biodiversité continue à être détruite parce que les mesures de protection sont insuffisantes. Dans beaucoup d’endroits, les entreprises ont toujours le droit d’extraire du sable ou du pétrole brut dans les aires protégées. D’immenses bateaux de pêche continuent à racler les fonds marins avec des filets lestés. Avec cette technique, appelée “chalutage de fond”, les pêcheurs attrapent des juvéniles et des espèces rares et causent de graves dégâts aux fonds marins. Et cette technique est, malheureusement, très utilisée dans les aires marines protégées européennes.
Tant que ces activités seront autorisées, la vie marine ne peut pas se restaurer et le terme “aire marine protégée” ne sera rien d’autre que du green washing. En effet, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) explique clairement que les activités industrielles et le développement d’infrastructures (exploitation minière, pêche industrielle, extraction de pétrole ou de gaz, par exemple) sont incompatibles avec la protection marine. Les lois européennes existantes (comme la directive Habitat) devraient empêcher cela dans certaines zones, mais nos gouvernements ont choisi d’ignorer la loi !
En février 2023, la Commission européenne a enfin demandé aux gouvernements européens de sorti progressivement du chalutage de fond dans les aires protégées. Vous me direz que c’est du bon sens, mais nos gouvernements préfèrent faire croire aux pêcheurs que tout va pour le mieux et qu’il ne faut rien changer, alors même que le déclin des populations de poissons est visible de tous.
Nos océans ne peuvent plus attendre – nous devons agir ensemble, et vite
La Cour des comptes européenne l’a rendu officiel : l’action de l’Union européenne est, jusqu’ici, insuffisante pour permettre aux écosystèmes et aux habitats dégradés de récupérer.
Mais des océans en bonne santé sont indispensables pour la vie sur Terre. Ils nous sont très utiles, notamment pour pouvoir continuer à pêcher et pour préserver les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs. Nous en avons aussi besoin pour réguler le climat et pour nous adapter aux effets du dérèglement climatique.
On dit souvent que l’Amazone est le poumon de la planète. C’est vrai. Mais n’oublions pas que les océans sont encore plus importants pour le climat. Ils absorbent plus d’un quart des émissions de gaz à effet de serre.
Nous devons cesser de nous leurrer : nos océans sont en mauvais état. Nous devons agir et accompagner nos pêcheurs dans la transition progressive et planifiée d’une pêche industrielle vers une pêche à faible impact qui sera bénéfique tant pour la nature que pour les communautés locales. Nous devons mettre fin à la surpêche et assurer un avenir à nos écosystèmes et à nos pêcheurs.