L’Union européenne négocie actuellement une nouvelle loi visant à mieux protéger la nature et à la faire renaître. Cette loi était attendue depuis longtemps. L’abondance et la diversité de la faune et de la flore dans l’Union européenne diminuent à un rythme alarmant, alors que notre économie, et en particulier la production alimentaire, en dépendent de manière critique. L’eurodéputé Caroline Roose explique comment une loi européenne ambitieuse sur la restauration de la nature peut aider à protéger et à ramener la nature.
En décembre, à Montréal (Canada), l’UE a signé un accord mondial ambitieux sur la biodiversité. L’un des objectifs internationaux est de commencer ou d’achever la restauration d’au moins 30 % des écosystèmes dégradés d’ici à 2030. Nous devons dès maintenant nous atteler à la tâche et ramener la nature aussi vite que possible. C’est dans notre propre intérêt et pour respecter nos engagements internationaux.
Pourquoi restaurer la nature ?
Des écosystèmes sains sont tout aussi importants qu’un climat stable. Ils fournissent l’air que nous respirons, la nourriture que nous mangeons et l’eau que nous buvons. Ils nous aident aussi à absorber et à stocker le carbone. De plus, ils refroidissent le climat et nous aident à faire face aux catastrophes naturelles telles que les incendies, les inondations et les sécheresses.
L’économiste Partha Dasgupta affirme que la nature est notre bien le plus précieux. En gérant mal ce bien, nous mettons en péril nos économies, nos moyens de subsistance et notre bien-être.
Si la nature est en mauvaise santé, c’est en grande partie à cause de l’action humaine. Les pratiques en matière d’agriculture, de sylviculture et de pêche industrielles détruisent les fondements mêmes de notre existence. La bonne nouvelle, c’est que la nature peut rebondir si nous changeons nos habitudes. Et si nous lui laissons un peu d’espace.
Mais nous pouvons contrer la perte de la biodiversité dont nous sommes responsables en restaurant nous-même la nature !
Que contient le plan de restauration de la nature de l’UE ?
L’UE souhaite mettre en place des mesures de restauration de la nature sur au moins 20 % de son territoire terrestre et marin d’ici à 2030. Et sur toutes les zones nécessitant des améliorations d’ici à 2050.
La loi oblige les gouvernements européens à mieux prendre soin du réseau d’habitats prioritaires de l’UE (également appelés “habitats naturels d’intérêt communautaire”). Ces habitats sont déjà définis dans le cadre de la législation communautaire sur la nature (notamment dans la directive “Habitats” de l’UE). Sur terre, ils couvrent environ 24 % de la superficie de l’UE. Pour ces habitats, nous disposons de données et de systèmes de surveillance qui nous renseignent sur leur état.
Malgré cela, entre 2013 et 2018, seuls 15 % environ de nos habitats importants présentaient un “état de conservation favorable“. Les habitats classés “en bon état” occupent une zone géographique stable. Ils offrent des structures qui permettent aux espèces typiques de s’y développer.
Des espaces de plus en plus restreints pour les espèces sauvages – qu’arrive-t-il à leurs habitats ?
Si les espèces animales et végétales sauvages disparaissent, c’est parce que nous détruisons leurs maisons, aussi appelé “habitats”. L’Union européenne regroupe les habitats les plus importants en neuf catégories et demande à ses États membres de lui présenter un rapport tous les six ans. Les derniers rapports couvrent la période 2013-2018 et montrent que 81 % des habitats “sont dans un état de conservation médiocre ou mauvais en Europe”. Les habitats dunaires et de tourbières et les habitats de marais sont les plus mal lotis. Les habitats dont dépendent les pollinisateurs (principalement les prairies) sont également en mauvais état. Lorsque des améliorations ont été observées, elles sont presque toujours liées à des mesures de restauration de la nature. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, au moins 11 000 km2 d’habitats doivent être (re)créés et ajoutés à la zone d’habitat existante pour assurer le fonctionnement à long terme de chaque type d’habitat. En outre, la grande majorité des zones d’habitat existantes doivent être remises en bon état. Les forêts et les écosystèmes marins nécessitent l’effort de restauration le plus important, compte tenu des zones qui ont besoin d’être rétablies ou améliorées.
La proposition de loi européenne sur la restauration de la nature – de quoi s’agit-il ?
En vertu du projet de loi sur la restauration de la nature, tous les pays de l’UE devront s’efforcer de rétablir ces habitats dans un “bon état”. Les pays doivent atteindre des objectifs spécifiques fixés pour 2030, 2040 et 2050 afin d’améliorer. Ils doivent aussi étendre ces habitats au fil du temps.
L’un des moyens d’y parvenir est de créer et de gérer des aires légalement protégées. Le réseau européen de zones protégées Natura 2000 couvre actuellement plus de 18 % des terres et 9 % des eaux de l’UE. Toutefois, sur terre, le réseau ne couvre qu’un tiers environ des habitats essentiels de la faune et de la flore sauvages de l’UE. Les pays de l’UE gèrent également d’autres aires protégées, ce qui porte le total à 26 % des terres et 12 % des eaux de l’UE. D’ici à 2030, ces zones devraient représenter 30 % du territoire de l’UE.
Les gouvernements de l’UE doivent également accorder plus d’espace à la nature dans les zones qui ne sont pas incluses dans les lois existantes sur la protection de la nature et pour lesquelles nous devons encore développer des moyens de mesurer leur état. Ces zones couvrent 76 % des écosystèmes terrestres de l’UE. C’est principalement des forêts et des terres agricoles, mais aussi des écosystèmes urbains.
En ce qui concerne les forêts, les gouvernements devront veiller à ce que de plus grandes quantités de bois mort soient disponibles pour les espèces sauvages qui en dépendent. Ils devront créer les conditions nécessaires au retour des oiseaux forestiers communs et réduire les zones soumises à des coupes rases et à des replantations, afin que les arbres aient des âges différents.
Dans les zones agricoles, les gouvernements devront prévoir davantage d'”éléments paysagers à haute diversité”. Tels que des arbres, des haies, des bandes fleuries, des bordures de champs, de petits étangs, des murs de pierres sèches et des terres en jachère (non cultivées). Ils devront veiller à ce que les oiseaux et les papillons reviennent dans nos terres agricoles. Ils devront aussi ré-humidifier les tourbières asséchées.
Enfin, les pays de l’UE devront supprimer les obstacles dans les rivières. Il faut en effet qu’elles puissent s’écouler plus librement. Il faudra aussi faire revenir les pollinisateurs et augmenter la superficie des espaces verts dans les villes tels que les parcs, les jardins et les fermes.
Pourquoi nous demandons six améliorations à la nouvelle loi européenne sur la restauration de la nature
La loi proposée pourrait changer la donne pour notre nature. Mais elle doit être renforcée pour tenir ses promesses. Pour s’assurer que cette loi apporte un réel changement, les points suivants doivent être améliorés :
- Réensemencer nos tourbières
Dans le cadre du projet de loi actuel, l’UE ne doit restaurer que les tourbières asséchées utilisées à des fins agricoles. Or, nous devons ré-humidifier les tourbières asséchées quelle que soit leur utilisation actuelle, à l’exception des terres utilisées pour la construction de logements.
Les tourbières abritent des espèces sauvages rares et constituent d’importants puits de carbone, lorsqu’elles sont en bonne santé. Les tourbières humides peuvent également contribuer à stabiliser les flux d’eau, atténuant ainsi les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations. Toutefois, dans l’Union européenne, la moitié des tourbières ont été asséchées et sont donc devenues des émetteurs de carbone. Nous devons colmater les fossés et relever le niveau de l’eau dans nos tourbières, sans nécessairement les rendre hors d’usage. D’ici à 2030, 30 % des tourbières de l’UE devraient être réhumidifiées.
- Libérer nos rivières
En ce qui concerne nos rivières, la proposition de loi suggère de supprimer les barrières fluviales, mais ne précise pas combien de kilomètres de rivières devraient être remis en état de libre écoulement. En effet, les rivières européennes sont les plus fragmentées au monde. La loi devrait obliger les gouvernements de l’UE à faire en sorte qu’au moins 15 % des cours d’eau de leur pays – soit un total de 178 000 km – coulent à nouveau librement d’ici à 2030.
- Ramener la nature dans les terres agricole
Le projet de loi vise à accroître la biodiversité dans les zones agricoles, mais ne précise pas dans quelle mesure ni dans quel délai. Cette question est trop importante pour être laissée à la bonne volonté des gouvernements et des agriculteurs.
Les éléments paysagers tels que les arbres, les bandes fleuries, les étangs et les haies abritent des insectes, des oiseaux et d’autres animaux, leur fournissant de la nourriture, des abris et des lieux de reproduction. Ils préservent, voire augmentent la productivité des terres agricoles en fournissant de précieux “services” environnementaux tels que la pollinisation, la lutte contre les parasites et la protection des sols et de l’eau. La loi devrait exiger qu’au moins 10 % de chaque exploitation agricole protège et favorise la nature d’ici à 2030.
- Restaurer nos écosystèmes marins
Les écosystèmes marins ont un besoin urgent d’être restaurés. Le meilleur moyen de les remettre en bon état est de les laisser tranquilles. Mais lorsqu’un gouvernement tente de mettre en place des aires protégées, un autre gouvernement intervient souvent pour bloquer ou diluer la décision. Trop souvent, cela signifie qu’aucune protection réelle n’est mise en place. Pour sortir de cette impasse, la Commission européenne devrait pouvoir intervenir afin que les gouvernements désireux de protéger les habitats de la faune et de la flore marines puissent aller de l’avant et le faire.
En outre, la couverture de la loi européenne sur la restauration de la nature devrait être étendue aux habitats des espèces pêchées en situation critique, comme l’anguille européenne, et aux espèces classées “en danger” dans la liste rouge de l’UICN.
- Plus d’espaces verts et bleus dans les villes
Les zones urbaines couvrent plus d’un cinquième de la superficie de l’UE et la plupart des Européens y vivent. La nouvelle législation devrait obliger les gouvernements à accroître les espaces verts dans nos villes, ainsi que les espaces bleus, c’est-à-dire les cours d’eau, les rivières, les étangs et les lacs.
Les gouvernements de l’UE devraient prévoir 10 % d’espaces verts et bleus urbains d’ici à 2040, et au moins 15 % d’ici à 2050. La plupart de ces zones devraient être légalement protégées.
- Restaurer nos forêts
La grande majorité des forêts de l’UE sont en mauvais état, et une grande partie de nos terres boisées se trouvent en dehors des zones protégées. La biodiversité et la capacité d’adaptation au climat devraient être accrues dans les forêts gérées comme non gérées. Pour y parvenir, la loi européenne sur la restauration de la nature devrait contribuer à réduire les coupes rases et les replantations à un niveau minimum. Elle devrait aussi promouvoir des forêts plus naturelles avec un couvert forestier ininterrompu et des arbres d’âges différents. Outre les améliorations proposées, les pays de l’UE devraient être tenus d’accroître la diversité génétique des arbres et l’abondance des espèces forestières. Ils devraient également renforcer la capacité des forêts à maintenir un microclimat avec des températures plus basses qu’à l’extérieur de la forêt. Ceci peut accroître la fonctionnalité des écosystèmes forestiers.
La restauration de la nature est un investissement dans notre avenir
L’argent consacré à la nature est un investissement et non un coût. Selon la Commission européenne, chaque euro investi dans la restauration de la nature ajoute entre 8 et 38 euros de valeur économique – des bénéfices qui proviennent des nombreux services fournis par des écosystèmes sains, tels que la pollinisation des cultures agricoles.
La restauration de la nature a un impact particulièrement positif sur celles et ceux qui dépendent directement d’écosystèmes sains pour leur subsistance. Par exemple, les agriculteur·ices, les forestier·es ainsi que les pêcheurs et pêcheuses. Lorsque les habitats marins sont efficacement protégés, les populations de poissons se reconstituent rapidement, au bénéfice de la pêche et de l’aquaculture. Des forêts saines résistent mieux aux sécheresses et aux incendies de forêt. Aussi, des populations de pollinisateurs abondantes sont bénéfiques pour l’agriculture.
Rétablir la nature ne peut attendre
Malheureusement, certain·es responsables politiques européen·es ont choisi d’ignorer les avertissements des scientifiques. Ils ou elles bloquent ou affaiblissent la proposition de loi, tout en affirmant qu’ils et elles sont favorables à la nature. Compte tenu de l’état dramatique de nos écosystèmes et de notre dépendance à leur égard, il n’est plus possible de se contenter de belles paroles à l’égard de la nature. L’inaction actuelle pourrait conduire la perte de la nature à devenir incontrôlable et mettre en péril notre capacité à produire de la nourriture et à lutter contre les pires effets du changement climatique.
Le Groupe des Verts/ALE au Parlement européen travaille d’arrache-pied pour obtenir une loi ambitieuse qui ramène la vie sauvage dans nos terres agricoles et nos forêts, nos zones humides et rivières et dans nos mers et littoraux – pour le bien des humains comme de la nature.