L’équipe Juncker, la stratégie numérique, les droits d'auteur et la vie privée
Les eurodéputés Verts/ALE Jan Philipp Albrecht et Julia Reda livrent leurs impressions
Dans l'ensemble, êtes-vous satisfaits de la proposition de Jean-Claude Juncker?
Globalement, la structure proposée pour ce vaste domaine est positive. Néanmoins, il reste à voir si les candidats proposés par Juncker pour les différents portefeuilles - Věra Jourová, Günther Oettinger et Andrus Ansip - sont à la hauteur. Nous les examinerons tous les trois scrupuleusement lors des auditions.
Quelle est votre première réaction à leurs désignations ?
Nous ne sommes ni contents, ni déçus par la proposition de la tchèque Věra Jourová en tant que commissaire en charge de la justice, mais plutôt curieux. Jourová n'a pas d’expérience dans le domaine des droits fondamentaux et a travaillé dans le développement régional pour la plupart de sa carrière. Nous verrons si elle se familiarise rapidement avec les dossiers importants et testerons sa compréhension et ses ambitions lors des auditions à venir. En tant qu’ancienne ministre-adjoint pour l'intégration européenne, elle connaitra au moins le fonctionnement de l'UE. Sa formation d'avocate devrait lui donner une base solide pour son travail sur la justice, l'état de droit, les droits fondamentaux et les droits des consommateurs, y compris la réforme de la protection des données. Ayant été dans le passé faussement accusée de corruption, elle devrait avoir, sur le plan personnel, une connaissance des droits dans les procédures pénales.
La proposition de Günther Oettinger comme commissaire à l'économie et la société numérique a soulevé quelques interrogations. À ce jour, il n'a jamais démontré une expertise dans ce domaine. Qu'il « ait confiance dans sa capacité à se familiariser » avec les questions, comme il l’a dit dans une entrevue, ne suffit pas à nous rassurer qu'il puisse relever le défi complexe de l'harmonisation du paysage fragmenté des droits d'auteurs européens et l'amener dans le 21e siècle. Notre préoccupation qu’Oettinger puisse être enclin à trop prêter l’oreille aux intérêts des grandes entreprises n’est que légèrement atténuée par sa lettre de mission, dans laquelle M. Juncker l’appelle spécifiquement à « faire en sorte que les utilisateurs soient au centre de (son) action ».
Bien qu’Andrus Ansip, désigné vice-président de la Commission chargé du marché unique numérique, ait une certaine expérience des questions numériques - il était le Premier ministre de l’Estonie lorsque le pays s'est imposé comme pionnier dans l'e-gouvernement - elle n'est pas sans accros. Juncker l’a choisi comme superviseur du marché unique numérique alors qu’il défendait toujours l'accord commercial ACTA avec passion alors qu’une contestation citoyenne européenne sans précédent le dénonçait comme étant une menace pour la liberté sur Internet. Nous nous demandons s’il a bien pris la mesure de l'échec retentissant d’ACTA devant le Parlement européen.
Qu'en est-il de la structure de leurs portefeuilles ?
Avoir un commissaire dédié à la justice était une demande de longue date du groupe Verts. Cela n'a été fait qu’en 2009 par la précédente commission. Il est important que cette structure ait été conservée, et l'ajout de la protection du consommateur dans le portefeuille pourrait même renforcer la cohérence de ce poste. Il semble que le domaine clé de la protection des données restera dans ce portefeuille et sera donc traitée sous l’angle des droits fondamentaux et de la protection des consommateurs. Nous saluons cette initiative. Le fait que la surveillance de la réforme des règles de protection des données de l'UE ait été confiée à un vice-président de la nouvelle Commission pourrait lui donner plus d’importance, mais nous devons nous assurer que nos normes ambitieuses de protection des données ne soient pas édulcorées afin d'être plus favorable au marché.
Juncker a réaffecté la responsabilité de la réforme du droit d'auteur. Avant, c’était un domaine plutôt négligé au sein de la Direction générale du marché intérieur et des services. Il sera désormais la responsabilité de Günther Oettinger, commissaire désigné pour l'économie et la société numérique - sous la surveillance du vice-président Ansip. Oettinger aura également la charge de la Direction des technologies de l'informatique de la Commission. Nous nous félicitons de cette réorganisation. Un sujet de préoccupation aussi large que le droit d'auteur ne peut plus être considéré uniquement du point de vue des intérêts commerciaux. Le fait que le commissaire de l’économie numérique soit responsable de la direction informatique de la Commission pourrait donner à cette dernière un rôle plus politique. Cela permettrait de mettre davantage l’accent sur l'open source et les données libres à la Commission. Cependant, il reste à voir si les candidats proposés sont à la hauteur.
Quelles autres questions les commissaires-désignés devront-ils aborder lors des auditions ?
Une question importante à Věra Jourová sera bien sûr la façon dont elle envisage de défendre et de renforcer les droits fondamentaux et la protection des consommateurs sans expérience dans ce domaine et en tant que membre d'une Commission fortement orientée vers la croissance économique et le marché unique.
Elle devra également faire preuve d’une compréhension élevée de la réforme complexe de la protection des données. Elle devra trouver le moyen de faire avancer le processus en vue d’une conclusion mi-2015.
Lors de son audition, Günther Oettinger devra démontrer ses connaissances nouvellement acquises des questions de politique d'Internet et indiquer comment il assurera que le droit d'auteur européen réformé réponde non seulement aux besoins des industries de la création, mais aussi à l'ensemble de notre société, de plus en plus numérique, sans pour autant dissuader l’innovation des startups ou des utilisateurs.